Novembre 2014.


Lettre ouverte ou Président de la Commission Européenne

 

Monsieur Le Président,


A I’heure où la courbe du prix du lait s’inverse …
A l’aube de lq fin des quotas laitiers …
A l’instant où la nouvelle Commission Européenne s’installe…


Nous avons le devoir de vous foire savoir que :


Les producteurs de lait ne veulent pas d’une nouvelle crise du lait.

Nous avons tous en mémoire la crise du lait de 2009 qui a fortement marqué les esprits. Les épandages massifs de lait dans plusieurs régions d’Europe ont touché le cœur et l’esprit de chaque citoyen.

Par ailleurs, 2012 fut une année vécue très douloureusement par l’ensemble de la profession. Durant cette année, le prix du lait est descendu jusqu’à 27 cents/litre, tandis que les coûts de production ont, en parallèle, grimpé de 64% entre 2005 et 2012. Depuis le mois d’août 2013 jusqu’à ce mois de juillet 2014, nous avons néanmoins connu une embellie des prix, amenant le prix du lait autour de 40 cents.


Cependant, depuis quelques semaines, la courbe s’inverse et les prix sont à nouveau repartis à la baisse. La forte augmentation de la production dans I’Union Européenne et l’embargo russe en sont les causes principales. Pourtant le pire est encore à venir, car le risque de voir une chute importante des prix à partir de I’année 2015, date décisive la fin des quotas laitiers, est plus que probable. En effet, les régions et les exploitations, qui ont le plus bas coût de production, s’apprêtent à fortement augmenter leur production.


Dans ces circonstances, nous, les agriculteurs, refusons l’absence de régulation des marchés dans le cadre de la P.A.C. 2015-2020. En effet, le prix du lait fixé par un marché mondial fluctuant mène inéluctablement à la volatilité des prix. Chaque effondrement (2009-2015?…) est une catostrophe pour les éleveurs qui ont besoin d’une visibilité et d’une rentabilité sur le long terme, étant donné les investissements nécessaires à la production animale.

L’Union Européenne commet une grave erreur en supprimant les quotas laitiers en avril 2015.
Nous, agriculteurs, avons la conviction que l’on nous a menti. Nous avons le sentiment que les négociations ont été tronquées et que les décisions ont été prises afin de ne pas permettre aux quotas laitiers de jouer pleinement leur rôle.
Les quotas laitiers pourraient être adaptés de manière à mettre en relation les quantités, les volumes produits et la demande des consommateurs, afin de permettre au producteur de percevoir un prix décent (=équitable) pour le lait, fruit de son travail.


Suite à la crise économique et financière, la demande de lait s’est effondrée. Au lieu de réduire l’apport de celui-ci sur les marchés, Madame Fischer Boel, a confirmé la stratégie de la Commission de déréguler le secteur laitier, en proposant l’augmentation progressive du quota européen de 10% entre 1008 et 2015.

Ce prétendu « atterrissage en douceur » a eu un impact tout à fait inverse.


En augmentant ainsi les droits de produire, il a été facile de démontrer que la plupart des états membres n’atteignaient pas leur production pnationale, puis de dire « puisqu’on ne les produit pas, c’est qu’ils sont inutiles ». De ce fait, madame Fischer Boel, mandatée par le conseil, a rendu les quotas inopérants.

Or, il aurait fallu tenir compte d’une part, des baisses de la demande, suite à la crise financière, tant que les marchés intérieurs qu’au niveau mondial ; d’autre part, des pertes de marché (suite à la hausse de 2008) et des hausses continues des coûts de production (énergie, engrais, concentrés protéiques…).

De plus, le système en vigueur n’a pas pris en compte la transmission des quotas laitiers. En effet, pour tous les pays de l’Union Européenne, ces droits de produire étaient monnayables. Cela a grevé les revenus des agriculteurs, notamment ceux des jeunes qui s’installaient et qui étaient obligés d’acheter les quotas, et les a engagés davantage dans l’engrenage « agrandissement – endettement ».

Enfin, les quotas laitiers, au lieu d’être supprimés, auraient pu être améliorés ou perfectionnés, notamment en répartissant mieux les droits dd produire entre tous les pays et en empêchant leur commercialisation.

Pour que ces quotas soient plus « réactifs », il aurait été bon d’avoir un observatoire qui, sur base des informations récoltées, aurait allumé les signaux invitant à produire plus, ou au contraire à produire moins, selon les nécessités du terrain. L’objectif étant que l’agriculteur touche un prix équitable et stable et que le consommateur soit lui aussi respecté.

Par ailleurs, l’Union Européenne fait fausse route en incitant à la création des groupements de producteurs.

Pour bien comprendre, il faut revenir à la crise du lait de 2009 et aux épandages de celui-ci, qui ont été vécus et exprimés comme des actes de désespoir. Ces actions ont touché les citoyens. Dès lors, la Commission Européenne s’est sentie obligée de mettre en place un groupe de réflexion, nommé « groupe de haut niveau ». Celui-ci a conduit l’Union Européenne, non pas à réactiver et prolonger les quotas laitiers, mais à se donner bonne conscience en mettant en place « le paquet lait ».

Ce dernier permet, dans un cadre précis, de constituer des groupements de producteurs, afin d’établir un rapport de force face aux transformateurs laitiers.

Or, ce paquet lait n’est que de la poudre jetée à nos yeux ! De fait, l’ultra libéralisme ne bouge pas et continue à faire pleinement ses effets. Certes, un groupement peut exercer des pressions à la hausse, en mettant en concurrence des groupes laitiers, mais, bien entendu, les producteurs ne seront écoutés qu’en cas de conjoncture favorable.

Pourquoi en est-il ainsi ?

Les laiteries, qu’elles soient privées ou en coopérative, ne sont en mesure de garantir un prix à leurs fournisseurs que tout au plus 3 mois à l’avance. Elles n’ont pas de visibilité sur le long terme. De plus, beaucoup de laiteries sont en coopérative t, de ce fait, sont déjà considérées comme des groupements de producteurs.

Finalement, accroître la transparence, suivre l’évolution du marché… c’est bien. Cependant, dans la logique de dérégulation, aucun lever n’a été mis en place pour garantir un prix au producteur.

La PAC prévoit un « filet de sécurité », lorsque le prix du lait descend en dessous de 18 cents. Ce prix doit absolument être actualisé et adapté à la réalité des coûts de production. En effet, à l’ère de la fin des quotas laitiers, ce montant frôle l’indécence !

A 18 cents, ce n’est plus une sécurité mais la disparition assurée pour bon nombre de producteurs.

Suite à la crise Ukrainienne, l’embargo fixé par la Russie (qui concerne les producteurs de fruits, de légumes, de viande mais aussi les producteurs de lait) confirme que l’orientation prise par l’Union Européenne, qui veut que les déterminants du prix du lait soient fixés par le marché mondial (qui échange moins de 10% de la production) est une grave erreur. En effet, les prix de ces denrées ont directement plongés sans qu’aucun frein ne les retienne. Elles ont donc mis à mal quantité de producteurs et les insécurise davantage encore pour le futur.

Ce qui est fondamental aujourd’hui !

Dans notre société, les producteurs ne sont pas reconnus comme tels. Seule leur production est reconnue et regardée uniquement sous l’angle du marché. Le producteur est un objet, un instrument à produire. Or, il y a derrière chaque agriculteur : des hommes, des femmes, des familles… liés à un territoire donné, qui font vivre bon nombre d’autres métiers et qui permettent ainsi à un tissu rural d’exister. La culture paysanne fait partie de ces trésors cachés qui font vibrer notre « moi » profond.

Afin de prendre en compte les producteurs de lait, il est impératif de leur permettre de gagner décemment leur vie et ce, sur le long terme. L’orientation du tout au marché préconisée par la Commission en permet pas cela et n’encourage pas non plus des jeunes à s’engager dans le métier. De plus, la politique agricole actuelle entraîne ceux qui sont en place dans une compétition, dans un engrenage, qui va amener bon nombre d’entre eux dans la voie d’une industrialisation sans issue.

Dès lors, écraser son voisin sera la règle. De plus, chacun va croire que c’est celui qui, en s’agrandissant, sera le dernier à tenir le coup… Or, agrandissement = endettement !

L’endettement oblige alors de nombreuses épouses à travailler à l’extérieur, afin de permettre à la famille de survivre, car il n’y a plus de revenu apporté par la ferme.

L’industrialisation de la production laitière entraîne les fermiers dans la voie de non pâturage. Cela signifie l’achat et l’importation de source de protéines (soja) ainsi que beaucoup de transport de fourrage et de lisier en plus, à l’heure où il nous faudrait des fermes « à basse énergie ». De plus, si demain les coûts énergétiques s’enflamment, sont multipliés par 2 ou par 5, que va-t-on faire ?

Par ailleurs, des régions entières de l’Union Européenne seront vides de production animale ! Cette orientation provoquera une concentration évidente dans les régions planes.

Les fermes industrielles vont plus que certainement engager de la main d’œuvre sous payée et/ou non déclarée.

Faut-il aussi rappeler qu’un très faible pourcentage de la demande, soit à la hausse soit à la baisse, provoque directement soit une hausse soit un effondrement des prix. Or, pour un agriculteur, il faut investir à long terme pour avoir du résultat. En effet, il faut deux ans pour qu’un veau devienne vache et produise du lait.

Il faut des années pour trouver un équilibre dans une ferme.

En outre, chaque région du monde a ses spécificités, ses particularités. Dans nos régions, il faut des étables pour résister aux hivers. Il y a également des normes sociales et environnementales. Bref, nous lancer à la conquête des marchés mondiaux, alors que nous ne produisons pas au moins cher, est un pari perdu d’avance. Seuls les producteurs en subiront les conséquences.

Il ne faut pas oublier que les cotations des produits laitiers se sont mises à remonter parce que nos collègues, de Nouvelle Zélande et d’Australie, ont connu une sécheresse sans précédent en 2012 et 2013. Ils n’ont donc pas pu fournir les marchés asiatiques notamment.

Dès lors, peut-on baser un système sur le malheur des autres ?

Il est aussi important de dire que l’orientation du tout au marché (= la politique du libre échange) est fragile et vulnérable, car il s’agit de biens alimentaires.

De plus, cette fragilité peut survenir pour les producteurs de lait par différents canaux. Par exemple, une maladie contagieuse, comme la fièvre aphteuse ou l’ESB, peut apparaître à tout moment et stopper net les exportations.

D’où la nécessité et l’importance de revenir aux principes fondamentaux de l’Europe qui sont :

          Un marché unique dans une Europe de 28 états et de plus de 500 millions d’habitants.

          La préférence communautaire.

          La solidarité financière.

Assurons notre autonomie alimentaire car, dans la voie que nous empruntons, l’hémorragie des producteurs va s’amplifier avec les crises qui s’annoncent !

Rencontrons les citoyens dans leur souhait de devenir acteurs de leur manière de se nourrie. C’est une lame de fond : les consommateurs veulent se réapproprier leur alimentation.

Abandonnons le « libre » échange comme voie unique.

Protégeons nos citoyens du manque de nourriture de qualité, sans hormones, sans OGM, sans antibiotiques dans la viande.

Et surtout… Relevons le défi de l’emploi en encourageant des fermes à taille humaine.

S’il fallait une conclusion…

L’écart se creuse entre les dirigeants de l’Union européenne et les citoyens. Le traité transatlantique en négociation avec les Etats-Unis et la politique laitière du tout au marché, issue de la PAC 2015-2020, vont encore l’aggraver.

Cette dichotomie interdit la naissance d’une authentique identité européenne condition d’une véritable démocratie citoyenne.

Pour rompre cette dualité, il nous faut retrouver la voie de davantage d’Europe, en mettant en avant une politique laitière par et pour les citoyens Européens. La seule solution est une régulation des marchés et l’encouragement des fermes à taille humaine, partout sur tous les territoires de l’Union Européenne, permettant ainsi la création d’une multitude d’emplois en agriculture. Cela doit être une priorité pour l’avenir.

Les Européens veulent des fermes et pas de usines. L’industrialisation qui nous guette ne rencontre pas le désir des citoyens ni les défis de demain. Les fermes-usines seront vulnérables, consommatrices d’énergie et peu créatrices d’emplois.

L’heure est à la construction de systèmes résilients, afin de résister aux multiples chocs prévisibles. Pour y arriver, il nous faut tisser un fil rouge qui va du local à l’international. Et, pour le marché mondial, il faut de nouveaux accords multilatéraux, de nouvelles règles à l’OMC, justes et équitables pour le bien commun.

Il nous faut être conscient que c’est une crise de civilisation que nous traversons où le rapport à la nature, le rapport à l’animal et, surtout, l’humain avec toute son histoire, ne sont pas pris en compte. La parole, de ceux-là même qui pratiquent la terre de génération, doit être prise en considération pour construire l’avenir.

Sans régulation… pas de salut !

Henri Lecloux, Agriculteur